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Yves Tumor, la tumeur versatile.

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Temps de lecture : 4 min

Background et prémices

Si j’avais vraiment une tumeur, je la nommerais Yves. Yves…la petite écorchure qu’on a sur le palais et qui ne peut cicatriser que si on cesse de la lécher…Mais on ne peut pas. Cette réplique empruntée à Fight Club qualifie bien le personnage d’Yves Tumor. Aussi attirant que dérangeant, énigmatique et  mystique, au croisement entre l’esprit torturé de Richard D James et le groove de Tricky. Un artiste vraiment percutant, surprenant et méconnu.

Sean Bowie a grandi dans le Tennessee où il ne se plaisait pas franchement. Autodidacte, à 20 ans, il apprend la batterie, le piano, la guitare et la basse. Sur les bancs de la fac à Los Angeles, il rencontre Mykki Blanco, rappeur alternatif  et performeur activiste QUEER, qui le prendra  sous son aile et sur son label DogFood en 2012. Après avoir déménagé à Turin, il commence un travail plus personnel et spirituel et crée le personnage d’Yves Tumor. En 2015, il sort un Ep pour le label expérimental berlinois Janus et un second chez DogFood.

Son 1er album autoproduit de 11 tracks When man fails you (qui sera ensuite ressorti sur le label Apothecary Composition en 2016) est un mixe de musiques hybrides synthétiques faites de boucles, captations en tout genre et expérimentations qu’il qualifie de postchill-wave.

Limerence est assez symptomatique de cet opus. Une mélodie entêtante à partir de laquelle il intégre un enregistrement. C’est une femme qui se demande si elle doit quitter le lit de son amant ou non. Il ponctue ce track d’un doux bruit de pluie, la musicalité laisse place à la poésie. Cette pièce radiophonique est une création artistique à l’état brut. On la placerait volontiers dans une expo 3.0 à écouter sur des coussins géants avec une spatialisation du son sur plusieurs points.

Yves Tumor entre dans le game des artistes perchés du Leftfield, musique ambiante expérimentale, ce qui lui vaudra son ticket d’or pour le label Warp quelques années après.

L’exploration du champ des possibles

2016, Tumor signe son 2ème album Serpent Music chez PAN, label berlinois d’avant-garde fondé par Bill Kouligas, artiste designer et musicien. À la frontière des genres, entre l’expérimental psychédélique et l’ambient, Tumor continue en toute cohérence ses recherches s’appuyant cette fois sur différents signes distinctifs de styles. Boucle de piano mêlé à des rythmes désynchronisés sur Dajjal, boîte à rythmes et gros noise sur Seed, trip hop éthnique sur Role in creation, loops de percussions sur Serpent I  pour nous inviter à la transe... C’est insaisissable, inconfortable. Il emprunte à un champ tellement varié de sonorités et de moyens qu’on peut parfois se perdre et se demander où il veut nous conduire.

Cet album introduit aussi les voix et les lyrics qui manquaient sur When man fails you. Tumor nous choisit comme thérapeute, il parle de ses démons, de ses peurs, ses faiblesses. Le schizo boy s’invite lui-même sur ses tracks avec différent nom : Bekelé Bernahu sur Seed, Shanti dans Broke in. Il est également connu sous le nom de Rajel Ali (notamment pour son duo Silkbless avec L.R Bedman) ou encore Teams.

Il chante l’amour déchu, foutu, la souffrance de cet amour perdu notamment dans The Feeling when you walk away, accompagné d’une guitare funk et de reverb à son paroxysme.

L’univers qu’il nous propose est assez sous représenté sur la scène musicale, tant la proposition peut sembler impossible en live. La construction et la beauté de cet album sont justement dans cette infime partie non tangible, sensible et poétique.

Experiencing the deposit of faith de 2017 est le 3ème album de Tumor qui nous montre toute sa polyvalence. Un 12 track de 40 minutes au total, des ballades à la guitare, des loops de claviers, des prises de sons noises et des vocales inattendues, sa signature.

Time for WARP

En 2018 il sort son 4ème album Safe in the hand of love chez le label Warp cette fois. Cet album regorge de pépites liant pop, trip hop et un savant mélange de distorsions électro, des choix singuliers d’arrangements ou de collabs comme pour le track Applaud, où il invite Hirakish et sa R&B de Nouvelle Orléans et le producteur Napolian sur un clip signé Gia Coppola (petite fille de Francis). La ressemblance frappante entre le Love Symbol Prince et Hirakish est démente. Un texte en français nonchalamment déclamé, d’une poésie folle teintée d’obscurité et de passion.

« Mon rocher, ma roche
Je me suis décroché
Effondrée, fragmentée, la surface de ta peau doucement disparaît
En physique le dactylo-prédateur apparaît
C’est dans les pays hostiles que je pars te retrouver
La machine à graver, oh ma roche, mon dactylo-café
Tu graves ma vie, et maintenant tu l’as gravi sans s’aggraver
À mes deux extrémités, confession autodafé
Perdu dans un rondis Français, une communion
Divisé, divisé, divisé, divisé »

En décalage total, Hirakish demande ensuite d’une voix suave et langoureuse que son amour lui crache dessus et le baise jusqu’à la mort.

Avec Licking an Orchid featuring James K., on glisse dans un projet trip hop assez marqué, bien loin des expériences sous acide de certaines précédentes productions. Niveau style on est proche de Oneohthrix never point ou du vénézuélien Arca.

Il nous plonge dans un univers empreint d’érotisme pour une danse préliminaire primitive et violente  « certains l’appellent la douleur/ certains l’appellent la torture/ bébé j’aime ça ». La douce voix angélique de James K. percute des guitares hurlantes. Dans le clip, une figure de diable apparait en fin appuyant  l’idée d’un self combat psychique féroce.

Un nouvel album pour avril

Alors que la sortie du prochain et 5ème album Heaven for a tortured mind est prévu pour avril 2020, il balance en février Gospel for a new century sur les réseaux. A la vision du clip, on  pense tout de suite à l’univers de l’artiste américain Matthew Barney (Mari de Bjork) et ses vidéos Cremaster. Un démon ultra bling-bling, une horde de femmes satyres en moumoute rose ficelés dans des harnais de cuir et strass. Des projections de corps nus décharnés ont l’air de bien amuser Tumor dont le sourire malaisant rappelle celui d’Aphex Twin dans son cultissime Windowlicker. On est dans du hiphop aux accents pop rock et côté lyrics, on est toujours dans la passion déchirante borderline.

Tumor joue sur tellement de registres à la fois qu’on ne sait absolument pas à quoi s’attendre avec le prochain opus. En tout cas il est chaud comme la braise et on a hâte de découvrir à quelle sauce on va être mangé.

Sortie Album Heaven for a tortured mind le 3 avril 2020, Warp records.

Où voir Yves Tumor ?

  • Le 23 mai 2020 au Paradiso Amsterdam
  • Le 30 mai 2020 au Kunstencentrum à Gand
  • Le 17 juillet 2020 au Dour Festival

Texte & Photo : Roxane Gire

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