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Interview Frustration : 20 ans d’impact brut

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Temps de lecture : 3 min

Frustration, pilier indomptable de la scène post punk française depuis 2002, continue de détonner avec leur dernier album Our Decisions, forgé en DIY dans les tréfonds de leur bastion créatif à Main d’Œuvres. Thèmes sombres et poétiques, abordant la mort et les injustices avec intensité et sans compromis mais aussi des choses plus light, plus douces… Tout n’est pas que tragédie.

Fondé par Fabrice Gilbert, le groupe garde une énergie intacte depuis deux décennies déjà. Musicalement, ils réussissent à maintenir une cohérence fascinante, oscillant entre différentes influences sans jamais perdre leur identité. Engagés et sincères, les membres de Frustration allient créativité instinctive et réflexions profondes, tout en restant de « joyeux drilles » comme dit Fabrice.

Frustration à Paloma – 24/05/24
@roxaneputontheredlight

Comment est né le projet Frustration?

Fabrice : on a commencé à répéter fin 2002 et à jouer devant du public en 2004. C’est un mélange de Punk, Post Punk et Coldwave, donc juste après la période du punk No Futur, décadente et un peu arty. On fait ça depuis 20 ans maintenant, avec une formation assez stable (sauf le bassiste qui les a rejoints il y a 10 ans).

Frustration -For Them No Premises / Full of Sorrow chez Born Bad Records / 2006

Vous avez pas mal de groupes à côté, qu’est ce qui a amené à ce groupe ?

Fabrice : c’est moi qui ai fondé le groupe pour une fois. J’ai toujours rejoint des formations existantes. Et je pensais que le projet durerait 2/3 ans, mais c’était sans l’engouement des gens et le nôtre. Après, il y a plein de projets à côté. Certains d’entre nous ont même 3/4 projets en dehors de Frustration ! À des moments, c’est monté jusqu’à 6 en parallèle, avec un travail à côté en plus, mais sinon la moyenne c’était 3. Maintenant il y a plus que Marc qui bosse à côté (fondateur du magasin Born Bad Records à Paris qui a inspiré le label du même nom).

Les thématiques de ce nouvel album sont toujours très sombres et poétiques. Pale Lights m’a fait penser à la mort en Ehpad…

Fabrice : enfin quelqu’un qui parle de ça ! C’est la première fois que quelqu’un nous parle de ce morceau depuis 4 mois que l’album est sorti ! J’ai écrit ce morceau suite au décès de mon papa qui ne voulait pas mourir à l’hôpital… Il a eu la bonne idée de mourir juste en arrivant dans l’ambulance. J’en parle maintenant avec beaucoup de décontraction. Et à la fin du morceau, j’incite la personne qui écoute à saboter ma voiture pour que je puisse me crasher dans un arbre. Avec les paroles de Frustration, on ne sait jamais si ça parle d’un truc privé ou non. On essaie de pas le faire ressentir comme ça et que chacun puisse s’accaparer les paroles. Too Many Questions ne parle pas de questions que je me pose.

Frustration – Pale Lights / Our Decisions / Born bad Records / 2023

Musicalement, ce que j’aime chez vous, c’est que je m’ennuie pas à l’écoute. Beaucoup de styles différents sont amenés…

Fabrice : beaucoup pourraient dire qu’il y a trop de styles abordés, mais ça ne nous a jamais été reproché.

Fred : c’est vrai qu’on pourrait faire un album que de post punk. D’ailleurs pour cet album, on a trouvé qu’il y a avait des morceaux qui se ressemblaient un peu trop parfois, ça nous a amené à travailler davantage sur l’ordre des morceaux, l’agencement de l’album pour pas que ça se ressente. Mais on ne se pose pas la question sinon.

Vous avez toujours votre studio à Main d’Œuvres (depuis 2009) ?

Fabrice : malgré les expulsions, ils nous ont toujours gardés à Main d’Œuvres. Normalement, c’est une pépinière de nouveaux talents et le plus jeune talent a 43 ans ! On leur a sauvé la mise 2/3 fois sur des têtes d’affiche qui ne se sont pas pointées, on paie régulièrement notre écot. Donc on peut dire qu’on fait un peu partie des meubles. On est un peu comme à la maison.

Marc : et puis c’est cool parce qu’à 2 portes de notre studio, il y a les Psychotic Monks qui répètent. On a partagé aussi avec Structure, Rendez-Vous, Cheveu aussi… Et tu as cette sorte d’émulation qui est chouette ! Ça a énormément contribué à notre longévité.

Pat : d’ailleurs les 6 mois où ça a fermé, on a dû louer un autre studio, aseptisé, tout blanc tout neuf… On n’a pas créer un morceau là-bas ! Le studio où on est, est une ancienne chaufferie, il y a plein de tuyaux partout, ils ne pourraient même pas le réhabiliter. On l’a décoré comme on voulait.

Fred : on a même eu une affiche d’un vieux film érotique des années 70 qui s’appelle Frustration !

Frustration – State of Alert / Our Decisions / Born Bad Records / 2023

Vous avez enregistré l’album là ?

Nicus : oui, on a tenté de faire l’album nous-même et d’enregistrer là. On voulait essayer ça, voir ce que cela rendait de bout en bout. C’était compliqué, mais on est très content du résultat. C’est à toi-même de te dire quand tu ne touches plus le morceau. Quand normalement, tu as 15 jours pour tout enregistrer, tu as 15 gaziers qui te donnent leur avis, qui te font rajouter des couches de synthé, 5 couches de guitares. Ça marche aussi, mais ce n’est pas le même effet pour le public en live ensuite.

Pour des gars qui n’aiment pas parler d’influence, vous êtes très paradoxaux. Vous faites pas mal de reprises pourtant, c’est avouer une certaine influence..

Fabrice : on a repris Bruce Joyner oui, et on a pensé à Star des Tall Boys aussi. On a fait 7 ou 8 covers, et il y en a une qui sort bientôt aussi en 45 tours. On achète des disques depuis longtemps.

Marc : mais quand on compose un morceau, ça vient tout seul. On a tous un gros background musical et on écoute toujours beaucoup de nouveautés. On ne se pose pas de question. Quand on a joué au Trianon pour la sortie l’album précédent, on était content de reprendre Death in June en live par exemple, mais pas à enregistrer.

Fred : avec Nicus, on a participé à la dernière compil Sick Sad World, avec Tempomat sur une cover d’Ein Zwei Polizei des Mo-Do. Quand on travaille l’album, si ça ressemble trop à un morceau qu’on connaît, on abandonne.

Vous bossez avec Baldo depuis des années pour vos pochettes d’albums. Celle-ci est très marquée « écolo »…

Fred : So Cold Streams aussi. Le contraste, entre je bousille les champs pour créer des routes. Sur Empire of Shame, on avait sorti Mother Earth in Rags, qui parle du continent de plastique qu’il y a sur la mer.

Fabrice : même Uncivilized, c’étaient des constructions d’immeuble. Il n’y a pas de rupture dans ce qu’on a fait avant. On n’est pas spécialement des écolos, mais on a fait des morceaux qui parlent de ces choses-là oui. Après, on a des morceaux qui sont moins sérieux. Mais la pochette de cet album est très percutante, on peut même y voir le 11ème morceau de l’album. Mais on est plutôt des joyeux drilles en dehors de ça. La seule chose qu’on connaît bien, c’est l’avenir de la Terre et celui de notre foie !

Pat : Quand tu fais du punk, t’as des choses à dire engagées, c’est la base.

Frustration – Mother Earth In Rags / Empires Of Shame / Born Bad Records / 2016.

C’est à dire ?

Fabrice : Cause You Ran Away, il y a presque 10 ans, parlait déjà d’une fille qui se faisait brusquer par son mec. On a toujours été comme ça.

Marc : il y a des trucs qui nous mettent en colère, qui ne passent pas et on n’arrive pas à lâcher prise. Notamment l’injustice. Ça et le capital.

Fabrice : l’actionnariat et les dividendes surtout ! À partir du moment où il y a des actionnaires qui investissent, ça fait souvent perdre la valeur des choses, on est dans une notion de rentabilité intrusive. La seule solution c’est la décroissance…

Fred : justement, j’ai vu un film (Désordres), il y a trois jours sur la période où Kropotkine (anarchiste russe) est en Suisse. C’est 6 mois après la commune de Paris et il y a plein d’anarchistes en Suisse.

Marc : le truc qui est honteux, c’est que les multinationales ont créé le tri sélectif, en nous faisant porter à nous, individus, la responsabilité de trier. En fait, dès le départ, ne créez pas la bouteille en plastique ! C’est la base ! Et j’ai pas à avoir mauvaise conscience, tu ne produis juste pas du plastique !

Pour mieux connaitre votre univers / Playlist de vos kiffes musicaux, des guilty pleasures, des morceaux qu’on a évoqué, de vos autres projets…

ITW Frustration – Mai 24

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Ecrit par :

Roxane Puthontheredlight / J’aime chiner les pépites dans les 1ères parties et les petits festivals underground. Toujours au taquet sur le dancefloor, on me trouve la plupart du temps devant la scène.
Chroniqueuse de charme pour les Sunday Morning et les lives reports.

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