Interview Cyril Cyril : une fusion unique de genres et d’idées
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Temps de lecture : 3 min
Un dimanche pas comme les autres puisque j’ai eu la grande chance d’avoir au bout du fil Cyril Yétérian de Cyril Cyril et fondateur du label Bongo Joe. De leurs premiers sons à leur dernier album à paraître « Le Futur, Ça Marche Pas« , Cyril Cyril est animé par un désir constant d’expérimentation et de renouvellement. Leur curiosité insatiable pour les sonorités du monde entier les motive à créer un projet qui transcende les frontières musicales. Leurs textes engagés reflètent leur combat pour la reconnaissance de l’artiste dans une société axée sur le profit. Malgré tout, ils restent des êtres humains optimistes et continuent à partager leurs découvertes avec passion et détermination. Présentation d’une fusion unique de genres et d’idées, prête à conquérir de nouveaux horizons musicaux.
Pour les sacasonneurs qui ne vous connaissent pas, comment définiriez vous le projet Cyril Cyril ?
C’est marrant parce que le programmateur de l’Usine à Genève m’a posé la même question il y a quelques minutes par message ! On doit y faire d’ailleurs notre vernissage d’album le 18 avril !
Question difficile : Cyril Cyril c’est l’histoire de la rencontre de Cyril Bondi (qui vient plus de la musique expérimentale et du jazz) et de moi-même (rock, folk et musiques non-occidentales). On n’a pas monté ce groupe en pensant à un style. On a posé nos valises et nos expériences dans un local de répet en jammant ensemble. Le nom était censé être provisoire. Plus on précisait la musique, plus on ne savait pas la décrire, à part qu’elle nous semblait très personnelle. On a chacun eu des groupes dans nos premières vies de musiciens et cette seconde.
Des premiers sons sur Certaine Ruines, au second album très énergique Yallah Mickey Mouse à aujourd’hui, qu’est ce qui a changé dans votre musique ? Ou au contraire, qu’est-ce qui s’est affirmé ?
On venait avec nos bagages musicaux, mais aucun acquis. Il y a toujours eu ce besoin irrépressible d’expérimenter en se mettant en danger. Et dès le départ, on a commencé à se mettre des bâtons dans les roues ! J’ai commencé par du Banjo que je ne maîtrisais absolument pas et Cyril s’était fabriqué un set de batterie un peu inédit. On s’était mis beaucoup de contraintes et c’est une des bases d’écriture de Cyril Cyril. L’idée de faire 3 fois le même album est une idée qui n’existe pas en nous, aller plus loin, ailleurs en explorant des facettes différentes.
Le devoir que j’ai en tant qu’artiste, c’est d’être une antenne sur le monde, d’absorber ce qu’il se passe autour de moi et de le retranscrire avec ma personnalité et subjectivité. Le monde se durcissant, on a eu le besoin de faire un album un peu plus dark, un nouvel aspect de ce que l’on fait. Il sort dans quelques jours, et je me réjouis d’avoir le retour des gens. On fait nos trucs sans certitudes, sans correspondre à une scène musicale à proprement parler.
Comment en vient-on à rassembler des sonorités venues de partout dans le monde pour créer un tel projet ? Qu’est-ce qui vous motive dans ces recherches sonores ?
On est des insatiables curieux ! Et conscients de la chance d’être ultra passionnés par la musique, qui est sans fin. Tous les jours, je découvre de nouvelles choses passées ou actuelles, des portes qui s’ouvrent vers l’inconnu. Et j’espère que je ne perdrais jamais cette appétence ! Et c’est vrai qu’avec mon activité au sein du Label, je passe ma vie à écouter de la musique que personne n’a jamais entendue et n’entendra peut-être jamais ! D’avoir les oreilles aiguisées aux sonorités nouvelles et ce qui peut surprendre, ça fait vraiment partie de mon mode de vie.
L’autre Cyril, il a ça aussi ! Il a quand même plusieurs groupes, dont La Tène qui est ultra expérimental et contemporain. On expérimente et évolue dans la musique sans capitaliser sur un acquis.
Il y a un grand travail de recherche sonore emprunt aux traditionnels, à l’essentiel. Des influences musicales particulières sur ce nouvel album ?
Par rapport aux deux albums précédents, on a une personne qui a mixé l’album et vient pas du tout de notre monde, bien qu’on partage un adn punk. C’est un Colombien d’origine qui a vécu en Argentine, bassiste du groupe punk noise féminin.iste Blanco Teta. Il produit aussi des sonorités uniques, une espèce de techno trap ragga dance, très typique de là-bas.
Dans cet album, il a une patte que les autres n’ont pas. Tu auras des parties avec de l’autotune, des sons traités très différemment d’avant. L’idée était d’aller un peu plus vers une certaine idée du futur. Et nouveauté aussi, on a des invités sur les morceaux ! C’est la famille élargie de Bongo Joe avec Eblis des Meridian Brothers, la violoncelliste Violetta de Blanco Teta, Inès Mouzoune d’Amani, Gilles et Benoit de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp.
J’ai lu aussi que tu t’inspirais beaucoup de tes lectures. L’essayiste français, Pacôme Thiellement dit dans son livre L’enquête Infinie : « Philip K. Dick avait vu en rêve, l’Empire n’a jamais pris fin, on peut dire que l’inverse est également vrai : la résistance à celui-ci n’a jamais cessé » Moi, j’y vois beaucoup de Cyril Cyril dans cette phrase. Vos textes sont très engagés ! C’est important pour vous en tant qu’artiste ?
C’est drôle que tu cites K.Dick. L’attaque du Hamas et ce qui en a suivi m’a bouleversé (je suis d’origine libanaise) et mon exutoire a été d’acheter des livres de science-fiction, dont ceux de K.Dick justement.
Sans être des militants politiques orthodoxes, sans prêcher pour nos convictions, j’aime assez dire qu’on vit dans un des pays les plus cher du monde. En père de famille dont le seul job est de faire de la musique qui ne nous fait pas gagner bien notre vie, car on vit dans une société qui ne reconnaît pas l’artiste. Pour le grand capital, produire ou créer de la culture, ça sert à rien. La valeur absolue, c’est l’argent et rien d’autre dans cette société là. On se considère comme militant du quotidien ! Rien que de faire exister nos modes de vie dans ces conditions (sans intermittence, rien) c’est du militantisme. Arriver à en vivre et à faire exister la musique comme métier ici c’est compliqué, on est une minorité.
Engagés mais optimistes !
On se bouge ! On essaie de rendre nos vies intéressantes. Il n’y a pas de remède face au vide existentiel. Et pratiquer un art de manière obsessionnelle et professionnelle ça nous guérit tous les jours. Et on espère guérir les gens autour de nous grâce à notre musique. En tout cas, c’est une bonne raison de se lever le matin. Si les artistes pouvaient être reconnus autant que des psys ou des médecins, on serait content !
Est-ce que tu peux me parler du titre Le Mensonge ?
Il y a quelques années, on a eu l’opportunité d’écrire un morceau pour une pièce de théâtre d’Ibsen. La pièce a plus de 100 ans et est complètement avant-gardiste puisqu’elle parle des lanceurs d’alerte. En gros l’idée, c’est un libre-penseur qui se fait défoncer par les pouvoirs en place et la masse, un peu kafkaïen car il ne pense pas comme tout le monde. Et au final, il a raison, mais il s’en sort pas. Le morceau, c’est un espèce de listing de tout ce qui me parle par la tête dans une thématique, cyniquement réaliste.
Dans un monde où Spotify supprime 17 % de postes pour devenir durablement bénéficiaire alors que fin 2023, ils font un chiffre d’affaire de 11 % supplémentaire, et dans un monde où l’artiste doit avoir 500 écoutes pour toucher 1 euro sur ces mêmes plateformes… Que penses-tu de l’industrie musicale, toi qui as un peu le cul entre deux chaises ?
C’est l’enfer ! Ça fait chier de constater que les majors ont encore gagné. Il y a eu cet élan d’espoir au moment du virage digital, car cela a limité tout le téléchargement illégal et ça faisait trembler les majors. Mais en fait, les plateformes sont complètement dépendantes des catalogues des distributeurs, qui eux ont le levier ultime pour récupérer une grande partie du gâteau. Et c’était déjà le cas au XX ème siècle avec les supports physiques, et c’est chiant de constater que c’est une continuité. C’est triste et j’ai l’impression qu’il y a aucune solution viable, ni volonté. Je ne comprends pas pourquoi ça coûte si peu cher d’écouter toute la musique du monde.
D’avoir un label, de voir ce qu’est un succès populaire et de voir quelles en sont les retombées économiques pour les artistes… Ce que cela aurait pu signifier il y a 20 ou 30 ans en qualité de vie pour les artistes… Ça nous met mal, mais avec un sentiment d’impuissance.
Plus légèrement, on est fan de découvertes au sein du Sac à Son, et je pense que c’est ça aussi qui nous attire inévitablement sur Bongo Joe et chez Cyril Cyril ! Comment chines-tu tous les incroyables sons qu’on peut aussi retrouver sur le label ?
C’est magique ! Ça fait partie des missions que je me suis données pour ma petite vie. Partager des choses qui me transpercent avec le maximum de gens. Toutes les premières années du label, je me suis un peu chargé de ce travail. Puis, petit à petit, j’ai rencontré d’autres passionnés qui sont venus vers moi, m’ont confiés leurs projets car ils aiment notre sens du travail et de l’éthique. Un rapport de confiance s’est instauré. Par exemple, le disque du groupe rock kabyle Abranis sorti en 2023 sur le label, c’est un travail de 6 ans ! Entre rencontres des musiciens, trouver des enregistrements de bonne qualité de l’époque etc… c’est un travail de longue haleine et de belles aventures humaines.
Mon rêve secret, c’est de trouver un groupe de trap expérimental lo-fi de Mongolie ou du fin fond de la Chine, ou un groupe de raggaeton psychédélique ouïghour !
Des projets qui vous font kiffer / Les groupes qu’on a évoqués / Vos groupes
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- 2017 : formation du duo Cyril Cyril
- 2018 : premier EP Colosse de Rhodes suivi du 1er album Certaine Ruines
- 2020 : 2ème album Yallah Mickey Mouse
- 2024 : 3ème album Le futur, ça marche pas
- Cyril Bondi participe à d’autres projets tels que La Tène, Insub Meta Orchestra, ou encore Diatribes ou encore Plaistow.
- Cyril Yétérian a fait partie du groupe Mama Rosin. Il est aussi le fondateur de Bongo Joe Records.
- Ils sont également membre du groupe Yalla Miku.
Ecrit par :
Roxane Puthontheredlight / J’aime chiner les pépites dans les 1ères parties et les petits festivals underground. Toujours au taquet sur le dancefloor, on me trouve la plupart du temps devant la scène.
Chroniqueuse de charme pour les Sunday Morning et les lives reports.
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